Une quasi-arrivée

Tonifiantes ! Si Estéban ne dormait pas la bouche grande ouverte dans la calèche qui le ramenait en Touraine, il aurait certainement utilisé ce … qualificatif pour décrire en un mot les « vacances » qu’il venait de passer au bord de la mer !

Mais revenons un peu en arrière …

Quelques heures auparavant, l’adolescent quittait …

Revenons encore plus en arrière …

A la suite du décès de son père, feu Arnaut de Chesnais, Estéban se retrouva, bon gré mal gré, expédié par sa mère chez son Grand Oncle sous prétexte d’y apprendre à manier les armes ! Si au début, le jeune adolescent, certainement pas naïf, se rebella contre ce qu’on tentait de lui imposer, il fut vite maté une fois arrivé « au bout de la mer » comme aimait le dire sa mère …

C’est ainsi que Estéban se retrouva levé tous les matins aux aurores pendant six mois ! La journée commençait par quelques exercices physiques, puis leçon de latin et de grec, déjeuner, de nouveau des exercices physiques et il finissait avec des cours de Théologie ou de théorie militaire … Si durant les premières semaines, le malheureux adolescent s’endormait souvent avec le diner, au bout de quelques temps, il prit le rythme (à défaut de mourir !) ! Si sa frêle constitution ne fut pas fondamentale bouleversée pendant ce « séjour », il finit par acquérir une certaine agilité et patience qui ne lui seraient certainement pas de trop pour son grand Retour …

Lorsqu’on l’informa qu’il allait enfin pouvoir rentrer au Château familial à l’occasion d’un bal costumé organisé par sa mère, le jeune garçon ne fut visiblement pas ravi … S’il n’eut que très peu de nouvelles des Montbazon-Navailles, il ne prit, quant à lui, même pas la peine de leur répondre …
Mais ne dirons pas de conclusions trop hâtives sur les sentiments d’Estéban !

Quelques heures avant de s’endormir dans la calèche qui le ramenait en Touraine, l’adolescent avait fait ses adieux à son Grand Oncle et l’avait remercié, sans grand entrain, pour tous les enseignements qu’il lui avait dispensé. Puis après avoir rassemblé ses quelques affaires, il avait prit la route en direction du Nord … Comment devait il se comporter, après une si longue absence, devant sa mère ? Sa famille ? Il n’en avait pas la moindre idée … Il craignait que les retrouvailles qui s’annoncent le laissent de marbre ! Et il se sentait même incapable d’exprimer le moindre sentiment … C’est du moins ce qu’il pensait …

Au bout de quelques heures de trajet, Estéban s’endormit tranquillement dans la calèche, allongé sur l’une des banquettes, la bouche grande ouverte et rêvant de … (Nous ne le dirons pas). Finalement, après un sommeil qui dura durant un nombre incalculables d’heures, l’un des cavaliers qui l’accompagnait le réveilla pour lui annoncer l’arrivée prochaine au Château …

Un pincement au cœur … Une soudaine impression d’étouffer … C’est ce que ressentit le jeune homme durant toute la fin du trajet … Lorsque le convoi passa enfin les grilles du château, l’on n’entendit qu’une chose : le claquement d’une portière … Estéban courrait désormais en direction des écuries pour une raison qui échappa totalement à l’équipage …

Une heure peut être deux de calme bien mérité. Les grilles désertes. Une servante qui passe devant ma porte, je ne peux que me lever et la suivre bel amusement en perspective!

Une voiture s'approche, passe les grilles. J'étouffe un juron. Encore un nobliau en retard. Peste soit d'eux. A peine le temps d'approcher que le nobliau en question sort de la voiture en un rien de temps et cours comme un fou vers les écuries. Le laisser sans rien faire, tentant. Risquer de prendre encore les coups de fouet de la famille, déjà beaucoup moins. Je m'élance donc après lui et suis sur ces talons déjà.

Ola mon seigneur. Les fêtes ne sont pas ici vous n'avez rien a faire là.

Oula ! Oula ! Mais où allait-il ? Ou plutôt, où est ce que ses jambes l’amenaient il ? Les écuries ? Non ! Au fur et à fur mesure que les secondes passées, il voyait l’effrayant bâtiment se rapprocher …. Il ralentit sa course lorsqu’il fut à quelques dizaines de mètres puis il finit par carrément s’arrêter lorsqu’il passa au niveau du manège. Littéralement essoufflé, il se pencha légèrement pour mieux respirer, c’est seulement lorsque son cœur se décida à battre moins fort qu’il entendit que quelqu’un l’hélait. L’adolescent se retourna, un jeune homme courait à son tour dans sa direction …

Qu’est ce qu’on pouvait encore lui vouloir ? Estéban en profita pour pester puisque personne ne pouvait l’entendre. Lorsqu’enfin il put entendre ce qu’on lui hurlait, il comprit rapidement que ce qui courrait était l’un des domestiques du château … Ce visage ne lui disait pourtant strictement rien … Et visiblement c’était réciproque !

- Ola mon seigneur. Les fêtes ne sont pas ici vous n'avez rien là faire là.

Le garçon secouait énergiquement la tête pour réordonner ses cheveux puis il lança un regard froid au valet :

- Pour qui me prends-tu ? Je suis Estéban Montbazon Navailles ! Et je vais où je veux ! Et je n’ai pas d’ordres à recevoir d’un … d’un … de toi !

Le domestique ne put que présenter ses excuses et s’incliner bien bas avant de se retirer. Lorsque ce dernier fut à assez bonne distance, le jeune homme se laissa tomber sur le sol, repliant ses jambes près de son corps, la tête posée sur ses genoux. Il ne pensait pas pleurer en arrivant ici …

Le corps de l’adolescent fut parcouru d’un frisson … C’est qu’il ne faisait pas si chaud que ça …. Lorsqu’il se décida à enfin lever la tête pour chercher la force à se lever, son regard croisa celui d’une petite blonde, guère plus âgée que lui-mesme. Il lui adressa un sourire triste puis après avoir vérifié qu’ils étaient bien seuls, que personne ne les écoutait, étrangement, sa langue se dénoua.

- Nous sommes tristes mais aussi heureux … Tristes et heureux à la fois d’être rentrés. Je ne sais pas comment l’expliquer …

Se rendant compte que le froid avait commencé à geler les doigts, il trouva enfin la force de se lever pour éviter de se transformer en statue de glace ou attraper la Mort. Le garçon regarda une nouvelle fois tout autour de lui d’un air inquiet.

- Nous … Moi c’est Estéban … Bon je ferrais mieux de rentrer … Pour me changer … Je suis trempé ….

Il esquissa ce qui en tant normal aurait du ressembler à un sourire chaleureux … Après avoir essuyé les quelques larmes qui perlaient aux coins des yeux du revers de sa manche, il s’inclina devant la jeune fille puis se retira …