Le retour de Léandre

Par un matin de juillet, une voiture tirée par deux percherons s'arrêta devant les grilles du domaine de Jersey.

Un jeune homme, élancé, blond aux yeux gris d'acier, toujours pénétrants, en descendit, admirant les divers bâtiments de pierre bellement taillée, recouverts d'une lauze claire aussi grise que ses yeux.

De ses lèvres s'echappa une parole, la première depuis le départ de Paris:

Jersey!!

Le domaine qu'il avait alors face à lui ressemblait grandement à celui de ses souvenirs. La dernière fois qu'il l'avait vu, sa chère mère était à peine enterrée, Mathilde venait de naitre et lui, alors que son père appuya une main sur son épaule lorsqu'il se retourna une dernière fois pour revoir le domaine où il avait vêcu depuis sa naissance, avait sept ans.

Jersey! Répéta t'il à nouveau. Enfin!!

Il avait vingt et cinq ans à présent, et dix et huit qu'il navait revu Jersey, et c'est justement à cet instant qu'il se rendit compte d'à quel point sa famille, ses parents proches et ce cher domaine lui avait manqué.

Depuis son départ, son père était mort à son tour, et il avait perdu de vue sa soeur Mathilde et son frère Clément, en outre du reste de la famille proche; Et c'est justement l'idée de retrouver sa famille qui le ramenait à Jersey.

Alors qu'il évoquait ses souvenirs, il ne se rendit compte de la présence d'une paire de gardes se trouvant dans les guérites, une de chaque côté des grilles, et ce n'est que quand il entendit un cliquetis d'armes qu'il se retourna et découvrit les deux hommes le regardant étrangement.

Je suis Léandre de Montbazon-Navailles, faites prévenir la Vicomtesse de mon arrivée, et ouvrez moi la porte, je vous prie!

Ce qu’il y avait de bien entre Jersey et les Ferrassières, c’est que Limoge se trouvait presque à mi-chemin entre les deux. Presque. Ainsi, il traversait le royaume de France en diagonal et avait toujours le choix des refuges calmes où aller pour se faire oublier.

Et il avait à se faire oublier le Corniaud. Habituellement, il aurait choisi le Sud-Est comme ermitage, toujours moins de monde là-bas mais … Pour une raison que lui-même ne connaissait pas, c’est finalement la direction du Nord-Ouest qu’il avait pris. Allez savoir pourquoi … La route n’avait pas été aisée mais cela faisait quelques jours maintenant qu’il y était parvenu. Comme souvent, sa fille et sa muse l’accompagnaient. Il n’arrivait pas encore à la nommé fiancée … Quand serait du jour ou …

Bref.

Bien qu’il fût venu sur les terres du domaine ancestral de la famille pour méditer tout ça, le Montbazon écartait encore le sujet de l’ordre de ces priorités. Qui mieux que lui savait faire l’autruche ? Personne ! Et il en était là, à … errer comme une âme en peine … se promener quand une voix un brin familière se fit entendre. Un brin parce qu’il ne la connaissait que depuis peu. Enfin il l’avait connu, avant, enfant, avant qu’elle ne mue et ne change … mais il ne l’avait redécouverte que récemment.

Léandre.

Son cousin était là. Un tantinet plus vieux que lui, il avait dans leur prime enfance, toujours tenté de le canaliser dans ces bêtises. Parfois avec succès mais pas toujours … Un sourire au coin, le souvenir d’un plongeon à plusieurs dans le lavoir non loin, inscrit dans un coin de l’esprit, le Corniaud s’approcha des gilles d’entrée. Qui l’avait aidé à monter ce coup ? Aubanne ? Oui, il y avait fort à parier …

- Laissez, je m’en charge.

Ainsi, il s’adressait au garde avant de se tourner vers le nouvel arrivant.

Tu aurais du me dire que tu comptais venir si vite à Jersey, nous aurions fait route ensemble …

Jetant un coup d’œil à l’attelage avant de sourire taquin.

Enfin, je t’aurais suivit à cheval.

Lentement une fois les grilles ouvertes, il marcha vers la demeure

- Si Alandrisse est là, nous la ferons prévenir de ton arrivée mais en attendant, veux tu te restaurer, te changer ?

Ayant mis pied à terre, il faisant les cent pas en adressant moults ordres à son cocher/secrétaire/homme de confiance, quand la voix d'Euzen se fit entendre derrière lui.

Tu aurais du me dire que tu comptais venir si vite à Jersey, nous aurions fait route ensemble … Enfin, je t’aurais suivit à cheval.

Il se retourna, salua amicalement son cousin en retirant son chapeau, tout de même un peu étonné de sa présence à Jersey, alors qu'il l'avait rencontré dans l'une des tavernes de Limoges, juste avant son départ pour Jersey.

Je te pensais encore à Limoges, occupé aux préparatifs du mariage de ton père, et en te voyant déjà ici, je crois que nous avons dû faire route commune, bien que sans nous rencontrer!

Dès que les grilles fûrent ouvertes, il ordonna à Flaubert de se rendre directement au château pendant que lui marcherait un peu, refaisant conaissance avec le domaine et devisant avec Euzen.

M'accompagnes tu jusqu'au château? J'ai fort envie de faire quelques pas...

Mariage de son père ...

L'évocation fit froncé le nez du plus jeune des Montbazon. Il s'y impliqué oui, parce qu'il ne voulait pas voir le passé se reproduire. Pourtant, au fond de lui, quelques chose se tordait encore. Malgré les années et un premier mariage, il avait encore du mal avec l'idée qu'une femme partagerait la vie de son père et ceux quand bien même la donzelle serait sa marraine ... Possessivité quand tu nous tient !

Aussi pour ne pas s'assombrir l'esprit ... C'est qu'à évoquer un mariage, un second pourrait resurgir ... Il éloigna la remarque de son cousin d'un geste vague de la main. A la question de se dernier d'ailleurs, il hocha la tête.

- Allons-y, le temps est beau profitons-en.

Étrange de deviser sur le temps. Enfin ..

Alors, revenir ici, te rappelle-t-il des souvenir ?

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