A cause d'ELLE...

C'est ta famille, tu dois les inviter à ton mariage...

Alors qu'il passe les portes du domaine de Montbazon-Navailles, les paroles prononcées par celles qui va devenir son épouse dans quelques jours résonnent dans sa tête en une litanie qui ne veut s'arrêter. Sa famille.. Oui, c'est vrai. Sa famille. Il devrait être fou de joie d'aller leur annoncer à la bonne nouvelle de ses prochaines épousailles, avoir envie de les serrer tous contre lui, de les embrasser. Ils doivent avoir tant de choses à se dire, à s'apprendre… Mais non. Au lieu de cela, c'est avec une boule dans la gorge qu'il s'avance vers ceux qui sont du même sang que lui. Une retenue non feinte, une méfiance. Pas une rancœur, non. Pourquoi serait-ce le cas? Ils ne lui ont rien fait, eux. Non. Peut-être même ignorent-ils tout de son histoire. Non, la seule responsable de son état, c'est elle. ELLE.

Oui, tout cela est la faute d'une femme, une femme mariée trop vite, mère trop vite, veuve trop vite. La faute à une femme qui a fait un choix, ne pensant qu'à elle. La faute à une femme qui a préféré se séparer de la chair de sa chair pour s'assurer un avenir cossu auprès d'un homme qui refusait d'avoir à élever un enfant qui ne serait pas le sien. La faute à une femme qui a élevé deux enfants en effaçant de sa vie l'existence de son aîné. La faute à une femme. LA femme pour tout homme, celle qui normalement le façonne, fait de lui ce qu'il est et ce qu'il sera. La femme. Sa mère.

Cela, il l'a appris en héritant des effets personnels du curé à qui il a été confié. Parmi ces effets se trouvaient des lettres échangées avec cette femme et convenant la plupart du temps des sommes d'argent qu'elle devait payer pour assurer la subsistance de son erreur. Ces lettres, il les a lues, relu, espérant y trouver un signe, n'importe lequel, d'amour de sa mère pour lui. Il a essayé de lire entre les lignes, de trouver une parcelle d'émotion, de regret dans cette écriture habille et soignée, mais rien. Il a dû se rendre à l'évidence, il n'était rien pour elle. Juste un mauvais souvenir, une plaie qui ne cicatrise pas, une dette à payer comme une autre.

Dire qu'apprendre cela l'a pour le moins déçu serait un euphémisme.. Il avait souvent rêvé d'elle, imaginant mille raisons expliquant pourquoi ils avaient été séparés, toutes plus folles, plus aventureuses les unes que les autres ; Il avait rêvé son visage, son sourire, son rire, son amour; il avait rêvé leurs retrouvailles, un jour, forcément un jour. Lorsqu'on n'a pas de passé on s'invente un avenir. Pour rattraper le temps perdu. Et finalement toutes ses espérances s'étaient effondrées à la lecture de quelques lettres.

Arrivé devant ce qui semble être la maison du gardien, il met pied à terre, et tenant sa monture par la bride s'avance vers la porte. Sa famille… peut-on avoir une famille lorsqu'on n'a jamais eut de mère? A-t-on le droit d'y prétendre? Il s'est longuement posé la question en chemin. Il n'a pas trouvé de réponse. Dix fois il a voulu rebrousser chemin, il aurait inventé quelques excuses pour dire qu'il n'a pu les voir, leur parler, que l'adresse n'était pas la bonne, qu'ils se sont tous noyés un soir de tempête… Mais il n'a pu. Le combat a été rude dans son esprit, entre le cœur et la raison. La raison lui disant qu'ils seront comme ELLE et le rejetteront, lui riant au nez. Le cœur espérant trouver auprès d'eux enfin la famille qu'ELLE lui a refusée, lui a volé.

Quelques coups à la porte, il attend jusqu'à ce qu'un homme vienne vers lui. Il le salut d'un geste de la tête, met un peu de temps à desserrer les dents. Il a tellement pensé durant ce voyage, qu'il a du mal à sortir de son introspection. Finalement, il dit

Bonjour. Pourriez-vous annoncer aux hôtes de ce domaine l'arrivée de Valexan, Seigneur de Saint-Christophe et…

Il s'interrompt, les mots sont difficiles à prononcer, c'est presque une déchirure de les prononcer, mais il se force et parvient à terminer :

Fils d'Aliènore de Montbazon-Navailles et de Robin.

Une journée habituelle, rien de plus que la veille et les jours précédents, juste un levé de soleil de plus, les rayons matinaux traversant les rideaux frôlant son visage. Un réveil en douceur, la maison était calme, encore dans les bras de Morphée pour la plus part. Ses vêtements de cavalière soigneusement pliées la veille par la femme de chambre, déposées sur le dossier de la chaise. Elle s’approcha de sa coiffeuse, versa de l’eau dans la vasque et entreprit de faire un brin de toilette. Une fois ces ablutions terminées, elle passa rapidement un peigne dans ses cheveux, noua le tout avec un lien en cuir, ses habits enfilés, Alandrisse sortit en direction des cuisines. Où l’odeur du pain fraichement cuit, inondait déjà les couloirs, la jeune femme se mordilla la lèvre, une telle merveille lui provoquait une folle envie de tout manger. Elle passa la main sur son ventre, un cri de famine de la part de son estomac ne tarderait pas à poindre. Elle accéléra le pas et se retrouva au palais des délices, sans même ouvrir la bouche une tartine recouverte de confiture se retrouva dans sa main. Il fallait dire que tous les matins, le rituel était le même. Une fois rassasiée, la Montbazon se dirigea à grand pas vers l’écurie. Elle scella sa monture d’ébène et partit au petit trot dans la nature environnante.

Son visage levé vers le ciel observa l’astre luire dans le ciel, il était proche de son point le plus haut. Elle tourna la tête vers le domaine des Montbazon qu’elle surplombait depuis la petite colline sur laquelle Al avait fait une pause. Elle serra la bride dans sa main vers la droite, talonna son cheval et retourna vers le domaine. La sensation de légèreté commença à l’envahir, un rire s’évadant de ses lèvres. La liberté n’avait pas de prix, de cela elle en était sûre à présent. La cavalière ralentit l’allure à l’approche de l’écurie, descendit de cheval, le sourire encore aux lèvres. Le palefrenier s’empressa d’emmener le destrier alors que la jeune femme partait déjà vers l’entrée. Sa main desserra sa cape, puis elle commença à ôter un de ces gants. Elle leva les yeux vers un serviteur qui parlait avec un étranger. Est-ce que sa tante attendait quelqu’un pour le repas ? Elle enleva rapidement l’autre gant puis les glissa à sa ceinture. Espérant que sa tenue ne le choque pas, la Montbazon se dirigea droit vers eux. Le serviteur remarqua sa présence, s’excusant auprès de l’étranger, il salua rapidement Alandrisse avant de s’exprimer.

Maîtresse, cet homme se présente comme étant un membre de votre famille. Le fils de feue Dame Aliénor et feu Messire Robin. Dois-je aller prévenir la Vicomtesse ?

Regard qui se pose sur l’homme qui se tenait non loin d’elle.

Oui, va la prévenir. Je me charge de le mener jusqu’à elle.

Le serviteur ne perdit pas de temps, termina de lui indiquer son identité et partit directement voir Jades. Alors qu’Al afficha un sourire et le salua.

Je suis Melissa de Montbazon-Navailles Dame de Beuil en Touraine ou plus simplement Alandrisse. Je suis heureuse de vous rencontrer sur la terre de… notre famille, si je ne me trompe pas.

L'homme a qui il s'adresse semble le jauger un court instant... Peut-être se demande-t-il si c'est du lard ou du cochon? Son hésitation trouve finalement son terme alors qu'une jeune femme s'approche d'eux. Cette femme doit être d'importance au domaine puisque le valet s'excuse auprès de Valexan et se dirige immédiatement vers elle pour lui parler.

En attendant que son sort soit scellé, Valexan observe les hautes tours qui dominent majestueusement le domaine et la vallée dans laquelle il se trouve. De là où il se trouve il doit avouer qu'elles sont impressionnantes de par leur taille. Quelques pas qui viennent vers lui lui font tourner son regard vers la jeune femme qui s'approche à présent. Qui est-elle? Est-ce là sa cousine Jades dont il a déjà entendu parler? Il ne lui semble pas, d'une part d'après la description qu'on lui en a faite, et il en a bientôt confirmation :

Je suis Melissa de Montbazon-Navailles Dame de Beuil en Touraine ou plus simplement Alandrisse. Je suis heureuse de vous rencontrer sur la terre de… notre famille, si je ne me trompe pas.

Il s'incline respectueusement

Mes salutations, Dames, je suis pour ma part Valexan, Seigneur de Saint-Christophe en Auvergne, et Montbazon-Navailles de par feue ma mère, Aliènore. Je n'ai guère eut l'habitude jusqu'ici de me faire appeler par ce nom, par la grâce de la femme qui m'a mise au monde, mais vous ne vous trompez donc pas.

Son regard s'assombrit un instant, mais il chasse bien vite ses mauvaises pensées et reprend

je vous remercie de m'accueillir de la sorte. Je suis venu en ce jour porter une invitation à mes prochaines noces. peut-être...

Il tourne son visage, voit le valet qui s'éloigne déjà et termine

Peut-être auriez-vous le gentillesse de m'indiquer où je pourrais rencontrer ma Cousine la Vicomtesse de Lomagne, que je puisse lui remettre la-dite invitation? Je ne souhaite point prendre trop sur votre temps, ni troubler trop longtemps la quiétude de ce domaine...

Il ajoute pour lui-même "où je suis un étranger" ; La jeune femme est charmante est l'accueil bien plus agréable qu'il ne se l'était imaginé ; mais il ne peut s'empêcher de ressentir une gène à ce trouver ici, face à ces parents qui lui sont encore inconnu...